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18 mai 2020

Carnet / Qui a peur de l’autobiographie ? (2)

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Porto, juin 2015

La défiance vis-à-vis de la littérature autobiographique se nourrit de préjugés politiques et psychologiques. J’évoquerai les premiers dans le billet d’aujourd’hui et les seconds dans une autre publication dans quelques jours.

Cette défiance s’inscrit dans ce que j’appelle les nouveaux conformismes qui ne sont que la répétition à l’opposé des anciens selon des successions de cycles plus ou moins longs facilement comparables à des effets de mode. De la mode, ces usages de prêt à penser ont la futilité. Sans en dresser un inventaire fastidieux à travers les siècles, on peut se contenter d’observer la période révélatrice comprise entre l’avant et l’après mai 68.

Le genre littéraire autobiographique a toujours existé, seul diffère le regard porté sur lui au gré des différents contextes historiques et sociaux.

Avant la grande libération de parole qui a caractérisé mai 68, s’exprimer à titre individuel, donner son opinion, raconter sa vie, se raconter, relevait de prérogatives voire de privilèges consentis à une élite intellectuelle et artistique vaguement considérée comme excentrique. Pour le commun des mortels, la norme et les usages dictaient la discrétion et la mesure dans l’expression de soi, ce qui conduisait l’individu à se brider lui-même pour éviter de se détacher du groupe. Dans la société encore très corsetée de l’époque, cette exigence était considérée comme une forme élémentaire de civilité voire de politesse.

Le pli était donné dès la socialisation des enfants, en famille, notamment dans les milieux bourgeois, puis sur les bancs de l’école. Il suffit de regarder les photos de classe de ces années pour mesurer le poids de conformisme qui s’abattait sur les visages de la plupart des écoliers. Ce n’était certes pas grand-chose en comparaison des décennies précédentes où les sourires étaient presque toujours absents de ces photographies scolaires, l’atmosphère s’étant déjà un peu détendue au début des années soixante.

J’étais à l’école primaire privée Sainte Jeanne d’Arc d’Oyonnax au milieu de ces années et je me souviens que nous avions parfois le droit d’évoquer rapidement une expérience personnelle lors des leçons de morale qui tenaient lieu d’instruction civique. En dehors de ces brèves parenthèses, on était prié de garder pour soi toute idée, réflexion, humeur ou émotion ne relevant pas de la sphère collective. Il en allait évidemment de même dans le monde des adultes.

Le grand soir vite remisé au magasin des accessoires, mai 68 ouvrit tout de même une fenêtre dans la valorisation de l’expression personnelle. Dans l’enseignement comme dans les entreprises, l’individu était encouragé à donner son point de vue, ce qui n’était plus vécu par la hiérarchie comme une impolitesse ou une inconvenance mais comme une volonté positive de s’impliquer avec plus d’enthousiasme et de spontanéité dans l’action collective.

C’est à ce moment qu’apparut en littérature ou tout au moins dans l’édition la vogue du témoignage ouvrant à nouveau la voie sur les différentes formes d’écriture autobiographique qui donnèrent encore plus tard des sous-genres tels que l’autofiction. Cette dernière contribua très vite à déconsidérer de nouveau l’autobiographie renvoyée une fois de plus à son insignifiance supposée.

Du point de vue politique, la frustration provoquée par l’échec du grand soir convergea en une radicalisation des courants idéologiques révolutionnaires ou simplement réformistes, lesquels ayant d’abord cru pouvoir tirer parti d’une libération du discours populaire spontané, finirent par renvoyer cette parole individuelle à l’inutile et méprisable expression du narcissisme petit-bourgeois désigné comme une entrave à la contestation et à la lutte contre l’ordre établi qui venait de se reconstituer en se contentant de lâcher un peu de lest.

En littérature, l’écriture de soi faisait désormais plus que jamais l’unanimité contre elle en étant aussi bien rejetée par l’ordre bourgeois que par le dogme révolutionnaire. La boucle était bouclée et cette vision fait aujourd’hui consensus.

On n'admet d’un auteur qu’il choisisse de puiser dans sa vie le matériau de ses livres qu’à la condition que son vécu individuel s’inscrive dans le courant du grand récit collectif ou dans la défense et l’illustration des valeurs en vogue, de préférence politiquement correctes ou correspondant aux standards de la posture rebelle qui remplace de nos jours la véritable action subversive.

Cette pression morale qui fait peser tant de suspicion sur l’autobiographie est tout à fait dans l’air du temps. Elle a même produit un conditionnement psychologique dont je décrirai certains aspects dans quelques jours, en suite des deux premières parties de cette série.

 

(À suivre)

Première partie à lire ici.

 

11 novembre 2014

Carnet / Du petit matin, du 11 novembre, de France Musique, des nouvelles Leçons de Morale et de la vie privée

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Pas besoin de gratter le pare-brise de la deuxième voiture qui couche dehors, le vent du sud a fait cadeau d’une nuit douce et humide. Effluves d’épicéa trempé, de mousse et de champignon. La chatte Linette se jette dans la ronde des dernières feuilles balayées par les courants d’air. Elle file se cacher dès que j’allume les phares. 

La route de Viry désormais risquée même à cette heure matinale (chauffards qui se croient tout seuls — c’est un pléonasme, j’en conviens — traversée d’animaux dérangés par la chasse, éboulements). Pain et croissants dans le halo jaune et bleuté d’une boulangerie du centre d’Oyonnax, en face du monument aux morts. Dans un quart d’heure, le stationnement sera interdit dans ce secteur pour cause de commémoration. Content de remonter chez moi à Viry avant le début de ce cirque.

J’ai une pensée pour mes lamentables années de presse locale au cours desquelles, je l’avoue, j’ai lâchement refilé les commémorations à des pigistes. Je ne suis pas contre les commémorations car oublier tous ces gamins à qui on a tout pris, en premier lieu leur vie et leur jeunesse, leurs joies, leurs amours, ce serait les tuer une seconde fois. Mais je pense que ces cérémonies devraient marquer des jours de deuil pour sortir à tout prix la guerre des esprits et non pas se répandre en ces kermesses radoteuses et sans recul historique.

Au lieu des bannières tricolores pavoisant les villes, ce sont des drapeaux noirs qu’on devrait déployer, pour que plus personne ne puisse oublier que dans cette immense escroquerie de la guerre, les vies de millions d’hommes ont été fauchées par les munitions fabriquées par leurs proches, leurs épouses, leurs collègues non mobilisés, leurs anciens chefs trop vieux pour partir à l’abattoir mais à la manœuvre dans les usines. Pendant que les chanteurs de variétoche à deux balles de l’époque voire les compositeurs officiels « contribuent à l’effort de guerre » par des chansons et des musiques de propagande, les affaires continuent. Pour les patrons d’industrie lourde, elles ne sont même jamais si florissantes. Voilà pourquoi vous mourrez, pauvres gars envoyés au front à coup de bottes de gendarmes dans le derrière. Même le vieux Anatole France l’a écrit : « On croit mourir pour la Patrie, on meurt pour des industriels. » carnet,note,journal,matin,petit matin,cafetière,croissant,pain,boulangerie,prairie-journal,écriture de soi,autobiographie,journal intime,11 novembre,morale,france musique,christian cottet-emard,radio,littérature,radio,viry,jura,franche comté,oyonnax,ain,rhône-alpes,france,europe,commémoration,centenaire 14-18,sdf,ordre établi,nouveau conformisme,engagement,vie privée,paix,sécurité,paix sociale,occident,individu,notion d'individu,anatole france,js bach,café,petit déjeuner

Aujourd’hui encore, après avoir connu l’après soixante-huit où les commémorations tricolores énervaient presque tout le monde, je suis déçu et inquiet du retour de ces effets de manche patriotiques, de cette façon de parler de la guerre au moyen de vieux clichés qu’on croyait définitivement ringardisés. Bien sûr, les journalistes, cette corporation que je n’aime décidément pas, sont les premiers à resservir cette soupe en osant encore parler de « morts au champ d’honneur » ainsi que je l’entends encore ce matin sur France Musique. 

Ah, je rêve d’une vraie radio musicale classique, sans parole, qui ne m’obligerait pas à éteindre le poste chaque fois qu’un énième bulletin « d’information » me rabâche ad nauseam, pendant que je bois mon café, le sempiternel conflit israélo-palestinien, le fanatisme religieux et les turpitudes des financiers et de leurs désormais valets, les élus du peuple. Je ne veux rien entendre d’autre que Bach en prenant mon petit déjeuner ! Si je m’intéressais au reste, j’irais sur France Inter et non pas sur France Musique !

De nos jours qui se paient de mots, j’entends déjà les objections et les reproches automatiquement suscités par mes propos. Depuis le temps qu’on me les ressort, ces mots de la Nouvelle Morale, du Nouvel Ordre établi, de la Moderne Bonne Conscience : l’engagement, le militantisme, la conviction, le bénévolat...

Je sais que c’est mal porté en ce moment, mais ma révolte n’est pas politique. Elle est tournée vers ce qui rétrécit, limite, réduit dans la vie personnelle. Le collectif m’ennuie, me stresse. Je ne m’y épanouis pas, je ne peux y tenir ma place. Pour moi, la plus belle invention de l’Occident est la notion d’individu et de vie privée. Cela peut paraître léger, immature de ma part mais l’engagement politique ou social m’est totalement étranger. Il y a déjà assez à faire dans le cercle privé. 

Je connais trop de gens qui se dévouent corps et âme pour des causes à l’autre bout de la planète et qui se désintéressent de leurs voisins voire de leurs proches, trop de gens qui ont une noble empathie pour tout le monde en général mais pour personne en particulier, et j’ai un dégoût spécial pour ce genre d’attitude. Telle est ma nature profonde et irréductible, quel que soit le prix à payer — et j’ai déjà beaucoup payé, et je paye encore pour cela. Je ne m’intéresserai à la politique que lorsque plus personne ne sera SDF et que sera institué un revenu minimum universel, seul garant de la paix sociale. Puisque nous vivons dans un monde où tout s’achète et se paye, achetons et payons la paix ! Ce sera toujours moins cher que si nous continuons ainsi...

Photos : - ma fidèle cafetière.

- Dans le sombre recoin d'une église de Lisbonne. (Photos © Christian Cottet-Emard)